Cet article est extrait du site <a href=http://www.argedour.bzh>Ar Gedour, les actualités spirituelles et culturelles bretonnes</a>.
1) Je souhaite évoquer aujourd’hui la dimension religieuse qui s’attache à nos églises et chapelles ; nos chapelles étant d’abord des lieux de culte il y a forcément un lien très fort entre chapelles et pardons.
Tous les ans de mai et jusqu’en octobre, nos chapelles se remplissent à l’occasion d’une célébration unique, celle du pardon annuel. Nos chapelles se remplissent de fidèles de la paroisse, de pèlerins venus des paroisses alentours et de gens du quartier qui à cette occasion renouent avec la foi de l’église (je souligne que nos pardons déplacent quant même un peu de monde, à cette occasion à l’intérieur de chaque doyenné mais parfois même au-delà). Les chants et les cantiques bretons font parties intégrante d’un pardon en même temps que les processions (quand c’est possible) avec bannières, croix, reliques (s’il y en a) et statues de saints portées par des hommes du quartier (et quand cette forme n’est pas respecté, les fidèles le font savoir).
Les pardons semblent bien constituer une spécificité locale mais en fait ils ont existé à travers toute la Bretagne. Ils expriment aussi de façon remarquable la foi, la piété et la dévotion de nos aïeux, envers leurs saints protecteurs. Des saints protecteurs qui ne furent pas choisis au hasard par nos ancêtres, puisque certain d’entre eux sont dit »bretons » et ce n’est pas sans raison, puisqu’ils nous ramènent à travers leurs vies aux origines lointaines de la Bretagne et de son évangélisation (une petite remarque à Bubry, l’essentiel des saints vénérés dans la paroisse sont »bretons » et quand ils ne le sont pas c’est parce qu’ils ont été remplacés).
2) A l’origine des pardons de Bretagne
Le Pardon trouve ses origines dans les confréries, qui divisaient les paroisses en quartiers (on a pu les nommer »trèves » : chacune se mettait sous la protection d’un saint et lui portait une dévotion particulière. Ainsi placé sous cette protection les habitants du quartier se devaient aide et assistance au sein de la confrérie : ils se réunissaient une ou deux fois par an pour rétablir leur unité et se donner ou s’accorder un pardon mutuel (origine de nombreux feux de joie). À partir du XVe siècle, les reconstructions nombreuses d’églises et de chapelles permirent les premiers pèlerinages : de grandes assemblées se réunissaient en des messes solennelles et en des processions pour obtenir le pardon des péchés, les indulgences, accomplir un vœu, ou encore demander des grâces particulières.
Remarquez ici que le mot indulgence se dit justement »pardon » en breton, et qu’après avoir reçu avec enthousiasme les conclusions du concile de Trente les Bretons se réapproprient ce point de théologie contestée par la réforme protestante concernant les indulgences. Les bretons l’appliquent à de nombreux sanctuaires et beaucoup de lieux jusque là seulement connu au plan local deviendront avec le temps de véritables lieux de pèlerinage, donc des lieux de pardon.
Il est difficile aujourd’hui encore d’évaluer toute l’ampleur du phénomène mais l’on sait que des endroits désormais un peu oublié des hommes, telle une chapelle isolée, mais aussi une fontaine solitaire, voire simplement une croix de chemin plantée au milieu d’un carrefour, connurent des foules nombreuses le jour de leur pardon spécifique (pardon institué ou »pardon clandestin » pourrait on dire, pas toujours encadré par le clergé parce que seulement connu des gens du coin.
Un seul exemple : un petit oratoire situé au bord de la départementale Plouay-Bubry et nommé Oratoire de Penterff, connut autrefois une affluence exceptionnelle (plusieurs milliers de pélerins, dit-on). Il s’agit de Notre-Dame de Délivrance (là on verse si l’on peut dire dans quelque chose de très mal défini et que les spécialistes appellent »religion populaire »). Notre Dame de Délivrance qui donnait de la force spirituelle mais physique aussi aux petits enfants qui tardaient à marcher et aidait les femmes enceintes au moment où elles avaient le plus besoin d’être aidé, au moment de la »délivrance » justement.
Voila un aspect bien particulier de la foi des ancêtres, qui n’est plus que rarement évoquée, c’était une foi religieuse ancrée dans les réalités de la vie quotidienne de nos ancêtres
3) Les pardons et la vie de nos ancêtres
Il a existé des pardons spécifiques dans chacune de nos paroisses : les pardons des chevaux, les pardons des animaux à cornes, les pardons des jeunes gens où il était possible de faire connaissance pour la première fois (les speed-dating de l’époque, une gamme au-dessus ?!), les pardons des nourrices, les pardons des cultivateurs… Dans toutes nos paroisses ont retrouvent invariablement les statues de saint Isidore, saint Cornély, saint yves, sainte Barbe, saint Vincent Ferrier, sainte Anne, saint Jean, etc, etc… Quand leur noms ne sont pas devenus les prénoms que nous portons, ce sont les noms de nos bourgs et villages qui rappellent à nos contemporains à quel point le culte des saints fut une des grandes réalités spirituelles et religieuses du catholicisme breton.
On a dit qu’en Bretagne la société était imprégnée de religiosité, parce que la Bretagne était une terre sacrée. On pourrait pu tout autant dire qu’en Bretagne toute la société était dans l’église, ce qui explique par exemple que la culture bretonne soit imprégnée dans tous ces coins et recoins de foi chrétienne et de respect du sacré. Un seul exemple : On nomme les maux physiques en breton en fonction du saint qui les soigne : Droug sant Matelin (démence/ follie), droug sant hubert (rage), Droug sant Yehann (épilepsie), etc… Attachée aux églises et chapelles, on trouve généralement une fontaine, mais parfois deux ou trois fontaines. En d’autres temps elles furent toutes fréquentées, car lieux de prière, de demande de grâce et de guérison (plus curieux encore pour ceux qui les découvrent, mais par nous, il serait possible de lister des catégories de fontaines en fonction de l’utilité qu’on leur donnait : fontaine pour se soigner, pour se marier, pour faire pleuvoir en cas de sécheresse, pour prédire l’avenir etc… Certaines de nos chapelles furent des lieux privilégiés, ou se célébraient tous les ans les rogations.Le culte des saints fut une constante dans l’histoire de la région. Les saints de quartier sont des intercesseurs puissants très proches de nous et plus encore (considérés comme membre de la famille humaine ils influencait jusqu’au choix des prénoms que certains d’entre nous portent encore).
Pour en revenir à notre sujet disons que de toute façon la réalité du pardon a collé à une autre réalité locale qui est celle de la culture bretonne. Je veux rappeler ici que nous sommes bien dans cette partie du Morbihan, en Bretagne bretonnante, (autrefois nommé Basse-Bretagne) et il serait sans doute dommageable dans un souci d’évangélisation de ne pas se le rappeler (pensons en autre à la vitalité du renouveau culturel breton / l’église devrait sans doute avoir sa place dans ce phénomène puisque sans elle la langue et la culture bretonne ne seraient jamais parvenus jusqu’à nous). En plus du profond respect dû aux saints locaux, il faudrait ici aussi évoquer les processions rituelles à la fontaine, ou les processions circulaires autour d’une chapelle quand la fontaine est trop loin. Le feu de joie, ou les cantiques bretons qui font parties intégrantes de l’ensemble (rien que pour le doyenné de Plouay, 7 paroisses) : une trentaine de cantiques bretons spécifiques et uniques composés par des clercs d’autrefois, le plus long d’entre eux 40 couplets).
Ici il est possible d’établir une première conclusion : Ces traditions religieuses ancestrales selon les lieux s’effacent progressivement, ou parfois retrouvent subitement un certain regain grâce au rôle de nombreuses associations qui portent avec générosité leur pardon spécifique. Leur caractère social et identitaire est souvent manifesté, comme le prouve la fête populaire qui les clôt : les danses bretonnes viennent mêler le profane au sacré. Traditions vivantes mêlant culture bretonne et sacralité, les pardons sont donc bien une racine de l’identité religieuse et profane bretonne.
Autre chose au sujet des pardons il faut souligner une distinction entre grands et petits pardons (ça va du plus simple au plus sophistiqué (c’est à dire tantôt une simple messe suivi d’un moment de convivialité, tantôt un programme festif sur une journée complète). Autrefois y avait dans le doyenné de Plouay des chapelles à deux ou trois pardons annuels sous des dévotions différences avec oppositions (petit et grand pardon). Au printemps et en automne. De toute façon il y a une incidence au niveau de la pratique religieuse.
4) Quelle conséquence sur la pratique religieuse ? Un autre »genre de pratiquants » fait sont apparition, qu’on appelait autrefois »pardonneurs », et qui existent toujours, et qui rentre très mal dans les statistiques. Un seul exemple, celui de ces personnes qui vous diront le plus sérieusement du monde »Moi je ne vais jamais à la messe, sauf peut-être entre le mois de mai et le mois septembre, parce que je fais tous les pardons ». En effet les »pardonneurs » d’autrefois n’étaient d’aucune paroisse, mais de toutes les chapelles. Par contre, il faut reconnaitre que ce genre de personnes peuvent faire doubler ou tripler l’assistance à l’occasion des grands pardons en particulier (surtout quand il y a des festivités profanes dans la journée). Les motivations de ces personnes : recherche de traditions, plaisir de chanter en breton, désir de plus de sacralité (procession, feu de joie), retour à une convivialité plus traditionnel.
Une remarque si vous le permettez : je remarque que les cantiques bretons, quoi qu’on en pense, ont survécu dans ce cadre, à la déperdition de la langue bretonne elle-même. Dans une deuxième partie, je vais essayer d’évoquer les réalités du moment et de rappeler au plus grand nombre qui le sait déjà, qu’un pardon ça s’organise, et que pour se faire il faut des bras et de la bonne volonté.
1 – Dans les années 80 mais plus tôt ou plus tard selon les paroisses, des comités de quartiers se constituèrent pour assurer l’entretien, la restauration et parfois même la reconstruction complète de chapelles laissé jusque là totalement à l’abandon. Avec les gros travaux à venir ces toutes une génération qui exprima le souhait d’une relance de festivités religieuses et profanes… Ce fut souvent un succès. Aujourd’hui, c’est parfois l’inverse d’autrefois : ce sont parfois les festivités profanes qui entretiennent la pratique religieuse !
Première question : Peut on renverser cette situation pour le moins curieuse ? C’est à dire rechristianiser à travers cet ancrage que sont les comités de quartier ?
2 – Les difficultés actuelles rencontrées par de nombreux comités (difficultés à renouveller ou à recruter des bénévoles, essoufflement de certains comités…
Autre interrogation : l’ouverture vers le culturel, plus ou moins bien vécu par les personnes se sentant concerné par le devenir de notre patrimoine (nos édifices ne sont pas d’abord des lieux de concerts, d’exposition ou autre.
Question : Jusqu’où peut-on aller ? Ou doit-on s’arrêter ?
3- L’aménagement des bâtiments ou leur restauration sont parfois des points de friction avec les autorités compétentes (c’est le cas des bâtiments classés avec des règles jugées contraignantes…
Question : N’y aurait t’il pas un juste milieu a trouver ?.
4_ Au niveau des célébrations dans le cadre des pardons, les attentes ne sont pas toujours les mêmes chez les pratiquants, que chez les équipes liturgiques en place (De nombreuses questions : quelle place pour la culture bretonne (en général on est tous très attaché au cantique de la chapelle). Quelle place pour des formes jugé »traditionnelles » bien qu’elles n’en soient pas, quand c’est le souhait des comités de quartier et des pratiquants ? (aspersion, bénédiction de fontaines, procession à la fontaine ou au feu de joie, cantiques plus traditionnelles et cantiques bretons…).Mais dans le même temps, il faut aussi de plus en plus adapter les célébrations de pardon au demandes nombreuses de baptêmes notamment.
5- Pour maintenir ou relancer une fête de quartier il faut un dimanche de disponible, ce qui suppose une reprogrammation de tout le calendrier des fêtes…). Nouvelles difficultés : conserver des dates instituées, et gérer le fait qu’il n’y a plus assez de dimanches dans l’année, en même tant qu’il faut tenir compte de la concurrence des fêtes profanes presque toute l’année.
6- Je vois encore un autre problème : comment ne pas revenir sur l’actualité de l’année dernière dans notre secteur, sans évoquer les dégradations nombreuses ou tentatives d’effraction autour de nos chapelles. La question soulevée ici est celle de la préservation de notre patrimoine religieux face à des phénomènes qui nous dépassent (nos chapelles étant assez souvent des lieux isolés).
Voici de quoi débattre…